Temps Nu Avec Texte
Je me suis dit : au théâtre, pour moi, le corps et le texte, c’est pareil. Genèse du Temps Nu Avec Texte
Je me suis dit : je mets des corps à nu pourquoi ? Parce que l’homme n’est pas qu’un ensemble de rapports sociaux, il est aussi un mort en puissance. La mort n’est pas un rapport social.
Je me suis dit : je ne peux faire autrement qu’affirmer ce besoin existentiel du nu dans l’art, avec Bacon d’un côté de moi, et Caravage de l’autre, merci. Et à tant d’autres de mes collègues metteurs en scène, merci, je ne suis pas le seul heureusement qui tente par les corps à vif de dire mon amour du monde.
Je me suis dit : je mets les corps à nu pourquoi ? Pour entendre ce gouffre de silence s’ouvrir dans les salles quand tout à coup un nu se fait sur la scène. Ce silence, avec seulement les gloussements adolescents qu’on connaît, reconnaît et qui me touchent tant, qui sont aussi du silence de mort.
Je me suis dit : sur le plateau le corps nu est beau toujours, s’il est dans l’innocence et la nécessité de sa monstration. Tous les corps sont beaux d’être nus. Pour moi, nu et beau sont des synonymes, dans l’innocence.
Je me suis dit : il ne faut pas laisser le nu aux mains des porcs du Commerce, qui envahissent l’espace de pornographies, et on ne voit plus des nus, mais des trous, des corps en plastoc troués, qui rapportent plein de dollars et de mépris.
Je me suis dit : le nu m’appartient à moi seul, et pas au Marché qui m’en inonde. Je le pose sur le plateau pour ne pas être entraîné par le flot des milliards de corps virtuels, mais arrêté, stoppé net par le nu rare et précieux, vivant. Celui posé en chair et en os sur un plateau de théâtre.
Je me suis dit : je me méfie à mort de tous ceux qui vomissent le nu. Quelles que soient leurs bonnes ou leurs mauvaises raisons, ce sont des dangereux. Et leur haine est sans limite parce que le nu les accule à la liberté, et ils l’exècrent.
Je me suis dit : on va faire ça, ce Temps Nu Avec Texte, parce que c’est impossible à faire."
Claude et moi-même avons une longue histoire avec Racine, et Phèdre en particulier. Notre premier spectacle ensemble, avec moi à la mise en scène et Claude sur le plateau, était Iphigénie, puis j’ai mis Phèdre en scène avec Claude dans le rôle de Phèdre, puis Claude a mis elle-même Phèdre en scène, dans lequel elle interprétait tous les rôles. - Comment vêtir le corps de Phèdre ? Avec quel costume ? Tout est réducteur, on le voit bien. Claude Degliame dispose des vers de Phèdre et d’Oenone, Nicolas Martel de ceux de Théramène et d’Hippolyte, Sandrine Nicolas de ceux d’Aricie et de Théramène dans le récit qu’il fait de la mort d’Hippolyte, et enfin Eram Sobhani de ceux de Thésée.Temps Nu Avec Texte [1] : Phèdre/Brisures d'après Jean Racine
Nous y revenons une fois encore. Avec le bonheur - et la peur inhérente - de nous confronter à deux impossibles : le vers racinien ET la nudité des corps. Voici quelques mots écrits à quatre mains, pour tenter d’éclaircir :
- C’est Chéreau disant de son Phèdre : « on ne doit pas voir les costumes ». On prend Chéreau au pied de la lettre.
- Phèdre, le personnage, n’est pas un ensemble de rapports sociaux, c’est un corps écartelé par deux mâchoires de fer, celles d’Éros et de Thanatos.
- Phèdre n’est pas un personnage, c’est un corps qui profère la plus extraordinaire construction poétique de la langue française, l’alexandrin.
- Seule l’âme du texte nous intéresse, et on sait, on le sait de source sûre, que ce qui montre l’âme, au théâtre, c’est le corps.
- L’âme totalement offerte du comédien c’est son corps totalement nu.
- Pourquoi vêtir ces corps tragiques, puisqu’ils sont en train de mourir ? Comment vêtir des torturés ?
- Un texte parlé sans le corps entier de l’acteur pour l’exhaler, on ne l’entend pas, c’est tout.
- Le corps entier, ça veut dire le tressaillement de la poitrine de Thésée quand il voit la trahison dans les yeux de son épouse, ou bien sa poitrine qui double de volume quand il maudit son fils. Ça veut dire l’haleine de Phèdre mourante, « elle expire, Seigneur ».
- C’est le même mot, expirer et expirer : quand on expire on expire le dernier souffle de ses poumons. Pour que Phèdre expire il faut que la poitrine de l’actrice se soulève et retombe une dernière fois pour expirer le dernier alexandrin. Cette fois tout cela, cette physiologie poétique, on le verra à nu.
Claude Degliame & Jean Michel Rabeux
Ce projet nécessite des acteurs uniques, pour nous uniques, ils sont consubstantiels du spectacle.
Les voici :
Temps Nu Avec Texte [2]